J’avais abordé dans un article de mon blog « Le goût du travail bien fait ».
Pour prolonger cette réflexion, je suis allée sur le terrain à la rencontre d’une PME de 12 salariés, spécialisée dans la maroquinerie industrielle, dirigée par M. Favereau. Au-delà de cette démarche, je me rends compte que je vais pouvoir mettre à l’honneur des entreprises, qui comme le souligne M. Faverau, sont « perdues de vue » sur le territoire français et qui pourtant gagnent à être connues.
Située en Gironde, aux portes de la Dordogne, la Maroquinerie du Sablon est une entreprise familiale, reconnue et appréciée pour ses valeurs et son savoir-faire. Depuis sa création en 1985, elle est fière et défend fermement sa production « made in France » : des produits publicitaires de maroquinerie qui vont de l’article de poche à la bagagerie, réalisés en grande partie sur mesure. Éloignée des infrastructures des grandes métropoles, elle connait comme tant d’autres les difficultés inhérentes aux industries installées en zone rurale : fracture numérique, manque de visibilité, difficultés de recrutement…
Conscience et implication
Pour autant, son dirigeant, Frédéric Favereau affiche un optimisme et un dynamisme étonnant. Face aux aléas, il trouve des solutions, innove, explore de nouveaux marchés. Sa réputation de sérieux et le savoir-faire de ses piqueuses, font la différence face une concurrence qui exploite souvent le filon « made in china ».
Aussi, quand on l’interroge sur ce que représente pour lui « le goût du travail bien fait », sa réponse est immédiate :
« Je dirai 2 mots : conscience et implication. Piquer en soi, ce n’est pas compliqué mais piquer avec conscience, cela c’est autre chose. Il faut être impliqué de A à Z. C’est savoir se rendre compte de ce que l’on est en train de faire, que quelque chose ne va pas. C’est savoir regarder son travail, prendre le temps de le contrôler. On apprend aussi de ses erreurs, il ne faut pas avoir peur de se tromper….
Cela semble aller de soi. On imagine que n’importe quelle personne doit savoir naturellement faire cela. Et pourtant cela s’apprend et nécessite beaucoup de temps. Cette conscience c’est presqu’une gestuelle ».
La conscience, presqu’une gestuelle
Il est vrai qu’au-delà des qualités intrinsèques d’un individu à vouloir faire bien son travail, la complexité du travail demande du savoir, du savoir-faire : la connaissance de la matière, de sa machine, du geste. On ne travaille pas de la même manière du cuir ou du similicuir.
Il faut aussi oser arrêter son geste plutôt que de continuer, sentir quand on ne fait pas la bonne chose au bon moment, prendre en compte les objectifs de rendement dans la qualité.
Sur une table de travail, j’observe une « piqueuse » qui répète des gestes immuables. Sa concentration m’interpelle. Comment fait-elle pour se livrer à ce travail qui semble rébarbatif d’un point de vue extérieur ? Comment peut-elle aimer ce travail ? Qu’a –t-elle envie de transmettre aux jeunes générations pour leur donner envie de faire ce métier ?
Marie-France est employée depuis 34 ans au sein de cette entreprise. Après l’obtention de son CAP « couture industrielle », elle a eu une première expérience de l’entreprise avant de rejoindre l’entreprise MDS33 :
« Bien sûr, nous travaillons à la chaine, ce que nous faisons ce n’est pas de la haute couture. Mais, on pense à celui qui va avoir en main ce qu’on l’a a fait et qui peut se dire « c’est beau quand même », c’est important de privilégier la qualité. Certes, il faut faire du rendement, c’est sûr, mais pour moi la qualité passe avant la vitesse. On peut faire vite et propre.
Interview
Notre travail c’est aussi l’image de l’entreprise. Si le travail n’est pas propre, il n’y a pas de commandes.
Le travail d’équipe, aussi est important et peut avoir des retombées sur notre travail. Il faut s’entendre, si l’une d’entre nous ne fait pas bien son travail, il y a des conséquences.
Bien sûr, le travail est souvent dur. Mais je pense à ces moments-là que certains sont dans des conditions plus difficiles. Et puis, pour moi, je pense qu’on est dans une bonne boite. Ici c’est comme une famille, on a tissé des liens. On a l’écoute du patron, c’est important. Se sentir bien, fait qu’on travaille bien. »
Voilà donc ce qui est au cœur de cette entreprise :
• le sens du client final : on sait qui on sert et on les connait
• La connaissance de la valeur de ce que l’on fait : je sais combien coute un carré de cuir, je connais les conséquences si je rate mon geste
• La prise de conscience qu’apprendre ce métier passe aussi par le fait d’accepter des erreurs.
Je demande à ce chef d’entreprise s’il faut beaucoup de temps pour former une piqueuse :
« Il faut 3 à 4 ans. Aujourd’hui les piqueuses sont formées principalement pour travailler dans des entreprises de maroquinerie comme Vuitton. Elles ne sont pas formées pour travailler dans l’industrie et sont souvent rebutées par le travail répétitif. Quand on recrute une personne, au-delà de la technicité, il faut lui apprendre à s’impliquer. Et cela est difficile, ça devrait pourtant être naturel. »
Cela pose la question du recrutement et de la formation des jeunes générations. Non seulement les industries ont besoin aujourd’hui de jeunes personnes qui ont envie d’apprendre sur le long terme, qui ont déjà le gout du travail et l’implication nécessaire. Mais de plus, elles doivent en permanence donner du sens au travail et miser sur la transmission des savoir-faire et des savoirs pour assurer leur pérennité.
À ce jour, une intérimaire a démarré sa formation avec à la clé un CDI.
Gina avait commencé un poste d’assistante à la personne avant de trouver ce travail sur les conseils de sa sœur. Au départ la perspective de travailler près de chez elle et le besoin de gagner sa vie l’ont emporté. Mais petit à petit, d’autres motivations sont apparues :
« C’est drôle, car la couture au départ, je n’aimais pas ça. Je ne connaissais pas du tout ce métier. M Favereau m’a proposé de me former, alors j’ai dit pourquoi pas ?
Interview
Je suis plutôt d’un naturel nerveux, et travailler de façon répétitive me calme. Ça s’est plutôt bien. Il y a aussi une bonne ambiance, bonne équipe.
Ce que j’ai trouvé le plus dur, c’est d’apprendre, apprendre à être rapide, et il faut malgré tout être précis. Il faut aussi que le travail soit bien fait. Moi si le travail n’est pas bien fait, je ne vais pas me sentir bien.
Finalement j’ai commencé à travailler pour vivre et le plaisir est venu petit à petit. »
D’ici quelques temps, MDS 33 aura besoin d’autres piqueuses.
Son dirigeant a pris le parti de la formation en interne malgré ce paradoxe : « il faut apprendre vite et pourtant apprendre prend du temps. » Il est conscient que le savoir-faire doit se transmettre : c’est la condition sine qua non pour perdurer et préserver sa production made in France.
ACTUELLEMENT : MDS33 recrute ! retrouvez les infos dans la rubrique » Le pied à l’etrier« .